lundi 29 mai 2017

LES AUTEURS INVITES : LINDA LE



LINDA LȆ

Linda Lê Ⓒ Mathieu Bourgois

Vendredi 7 juillet, à 17h / Lecture-rencontre : Linda Lê
Cour de la cure Saint Maurice, Place Saint Paul

L'essai Roman ou quand le métier de lire frappe celui d'écrire, et retour

Il semble bien qu’écrire ne saurait suffire à Linda Lê. Ou tout au moins, cette activité de création en littérature ne peut s’ordonner que tenue parallèlement à une activité critique qu’impose la lecture rigoureuse d’autres oeuvres. C’est ainsi que l’auteur construit une oeuvre imposante depuis 1993, date de la parution de ses Evangiles du crime (Fayart et réédition chez Bourgois, son principal éditeur depuis), qu’elle reconnaît comme le premier titre constituant de ce qui deviendra son oeuvre. (Lire des extraits ci-dessous)
 
 Mais combien d’ouvrages ouvrons-nous qui sont aussi marqués de son empreinte (de Panaït Istrati dont elle conduit l’édition presque complète des œuvres chez Phébus), en passant par Hans Henny Jahn, Hermann Hesse, Natsume Soseki, Flann O’Brien, ou encore Tarjei Vesaas. Linda Lê est née au Viet-Nam en 1963, qu’elle a dû fuir avec sa famille en 1977. Arrivée en France, elle vit au Havre qui reste sans doute une forme de territoire accueillant pour elle, comme la langue française qu’elle maîtrise avec une tendresse violente. A la Sorbonne, elle travaille sur l’œuvre d’Henri Frédéric Amiel. Sa vie en littérature est alors une destinée.

En 1993, Christian Bourgois a édité son cinquième livre, le roman Calomnies (traduit et publié aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et au Portugal) puis en 1995, Les dits d'un idiot. Les Trois Parques et Voix ont paru en 1998, Lettre morte en 1999, Personne en 2003, Kriss/L'homme de Porlock en 2004 et In memoriam en 2007.

Linda Lê a obtenu le prix Fénéon pour Les Trois Parques en 1997, reçu le prix Wepler-Fondation La Poste en 2010 pour son roman Cronos et le prix Renaudot-poche en 2011 pour À l'enfant que je n'aurai pas (Nil). Son roman Lame de fond a figuré parmi les 4 livres finalistes pour le prix Goncourt.

La bourse Cioran lui a été attribuée par le Centre national du livre en 2010

Tu écriras sur le bonheur, paru chez Bourgois en 1999, dans la collection Titres, est un recueil de textes que Linda Lê a donnés pour accompagner certaines éditions d’oeuvres majeures d’auteurs qu’elle aime tout particulièrement. On retrouve ce geste critique dans l’ouvrage : Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau, que Bourgois publie en 2009. On y retrouve Walser, Calaferte, Perrros, des Forêts, Marai…(Lire des extraits ci-dessous)

Enfin, citons Roman, dernier livre paru aux éditions Bourgois en 2016. (Lire des extraits ci-dessous)



En cinéphile avertie, Linda Lê ne manque pas de rendre hommage au cinéma. Cette alliance s’écrit, comme par exemple, dans Oeuvres vives, paru chez Bourgois en 2014.

Sylvie Gouttebaron 

Linda Lê, aux Editions Bourgois

Extraits de "Les évangiles du crime"

 "En ouvrant la porte, je vis apparaître une silhouette menue, enveloppée dans une robe sombre au tissu fluide. De longs cheveux noirs très épais encadraient un visage maigre et de grands yeux creux. De l'étrangère, je ne vis d'abord que ses mains posées à plat sur sa robe ; elle se tenait devant moi comme une enfant sage, mais, je ne sus pourquoi, ses doigts fluets me firent penser à des griffes. Elle avait une douceur carnassière, une voracité déguisée en résignation. Elle avait la fragilité inquiétante du jeune corbeau. Je la surnommai, à part moi, "Bébé vautour"."

 " Écrire un livre : rien n'est plus aisé quand on possède le flair d'un limier (la chasse aux meilleurs morceaux de prose est une occupation qui requiert un esprit alerte), l'agilité d'un chapardeur (je vole avec adresse, de telle manière que même le propriétaire, l'auteur du livre, me soit reconnaissant de ma discrétion), le talent d'un maquilleur (mon laboratoire d'écriture est un atelier de recyclage de tous les textes tombés dans l'oubli), et le cynisme d'un petit malfrat (le plagiaire se glorifie de petits larcins au nom des grands crimes qu'il s'abstient de commettre - et quel plus grand crime que de croire encore en la littérature en ce siècle?)."

Extraits de "Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau"

 Robert Walser 
"Baguenauder pendant que les autres se démènent à l'envi, bâtissant sur le sable - quoi de plus grisant? Flâner à la manière de Walser requiert toutefois une véritable discipline. Dans ses microgrammes, il avait précisé les règles du jeu : il faut être tout yeux, tout oreilles, faire grand cas du menu fretin, réprimer sa sentimentalité égoïste et récolter les brindilles que charrie le grand fleuve des jours[...]Un mot lui faisait-il défaut, il enfilait son manteau, coiffait son chapeau et s'en allait le dénicher au coin d'une rue Il appelait cela musarder, c'est-à-dire serrer de près une image jusqu'à ce qu'elle cesse de voleter et se laisse capturer."
 
" Repousser le plus important, faire affleurer le secondaire dans des phrases semblables à des volutes: voilà la méthode Walser."

Georges Perros
"Ecrire, disait-il, c'est renoncer au monde en implorant le monde de ne pas renoncer à nous.S'il rentrait souvent dans sa tanière, sa tour d'ivoire était une vigie, d'où ce veilleur, planète désorbitée, se hissait vers les hauteurs. Il préférait l'ombre car, tapi dans son coin, il avait l'oeil plus perspicace : il épiait ses semblables, l'étude de l'autre s'avérant propice au retour sur soi." 

"Sa poésie s'émiette, s'effrite. Elle dit ce qui est de guingois, cassé. Elle met sur la sellette l'ego, équation toujours en suspens. Quand bien même elle serait un noeud d'obsessions qui ne se dénouerait que provisoirement, elle rend le silence moins assourdissant."

Extraits de "Roman"


"Lorsque Roman tomba sur le texte que L. avait publié dix ans auparavant, il était certan qu'il ne s'adressait qu'à lui. Il en était si certain qu'il noircit cinq pages à l'intention de l'auteur, en qui il voyait déjà une alliée. Il avait la conviction que L. n'avait écrit que pour susciter des réactions telles que la sienne, une réaction qui n'était pas uniquement celle d'un aficionado, pressé de se faire connaître et d'assaillir de quLes estions le débutant ou le vieux routier qui l'avait bluffé, mais celle d'un lecteur si ému par l’œuvre que, dans l'Idyllique Royaume des Mots, il n'en trouvait pas un seul capable de traduire véritablement le trouble qu'il avait ressenti."

" Le livre fini, elle ne le montra à personne. Elle ne dit ni à Roman ni à B. qu'elle était arrivée au bout d'un chemin : elle se préparait à franchir une frontière qui la séparait d'un territoire où elle évoluerait entre rêve et réalité, laissant derrière elle toutes les interrogations des dernières années. Roman et B. existaient plus que jamais maintenant qu'elle les avait embarqués  à bord de son arche de papier."

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